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La “précarité” de ma mère a longtemps été ma préoccupation première. Heureusement, « il y a le pognon dingue des minima sociaux ». 559 euros par mois, la belle affaire. Au RSA depuis plusieurs années, elle navigue avec force de galères de tunes en galères de toits. Dans les médias, dans les troquets, sur les bancs de l’Assemblée, elle est précaire. C’est le mot poubelle qu’on utilise pour parler des gens qui partagent cette situation pourrie. Un mot qui dissimule bien la réalité de cette misère et la solitude sociale qui l’accompagne. Ma mère n’est pas précaire, je vous l’affirme. Elle est grande dans le cœur et dans l’âme. Elle est belle et plus courageuse que la plupart d’entre nous qui serions bien incapables de vivre avec si peu en donnant autant.
Un jour, j’ai souhaité parler de ces personnes qui représentent cette part de moi-même et de notre humanité. Ces invisibles, souvent solitaires, qui souffrent en silence en écoutant médire sur leur dos les donneurs de leçons qui ignorent ce qu’est la pauvreté. Un jour, j’ai pris mon argentique et j’ai suivi ces anges devenus grands frères. Je les ai rencontrés à Wissant, sur les plages de la mer du Nord dans le cadre d’un séjour dit de « rupture », grâce à Aleks, ami et travailleur social chez les Petits Frères des Pauvres.
C’est lors de ce premier séjour que j’ai croisé Vincent, résidant à la pension de famille « La Chine ». Passionné d’art, de littérature et de photographie, nous avons tout de suite partagé notre vision du monde. C’est lui que j’ai suivi, c’est lui qui m’a instruit. C’est lui qui se trouve à mes côtés derrière chaque cliché réalisé, le conseil toujours avisé, les idées vives, l’esprit affuté et le regard acéré. C’est lui, Vincent, que vous ne verrez pas, qui se cache derrière une myriade de pixels et qui pourtant est présent partout. Il m’a présenté les autres, d’abord photographiés de dos lors de cette toute première rencontre. De dos car les anges ne dévoilent pas leur visage au premier regard, au premier venu.
Evidemment, ils ne sont pas nés anges, ils ont parcouru des chemins sinueux, semés d’embûches, de faux-pas, d’errances et de doutes. Il aura fallu se cogner à la vie, s’y casser les phalanges, se ronger les sangs, se perdre souvent, toucher le fond, vivre sans le sou, sans le toit, avec la faim pour compagnon et le regard aveugle des passants. Pourtant, nos grands frères n’ont rien de pauvre. Leur fortune : l’expérience, la générosité, la patience et le cœur.
Au fil des années et des échanges, nous avons pu jouer avec la photographie tous ensemble et faire de cet outil un vecteur, une passerelle, capable de réduire cette distance invisible entre les êtres, capable, peut-être aussi, d’écorner ce que notre société nomme « précarité ». Parler du réel en se mettant en scène par le portrait, la posture, le lieu et l’environnement, afin de mettre en lumière l’être qui se cache dans l’ombre de nos préjugés.
Après plus d’un an de rencontres hebdomadaires, j’ai arrêté la photographie et le bénévolat pour travailler six mois dans la pension de famille et vivre au rythme des rendez-vous médicaux, des galères administratives et surtout des discussions à refaire le monde autour d’un café, clope au bec. A la fin de mon contrat, j’ai réalisé une série de portraits « à la Chambre » afin de conserver sur le film argentique les contours de leurs histoires, la profondeur de leurs regards.
Aujourd’hui, en regardant leurs visages, je me dis que c’est peut-être à l’instant où nous serons tous « précaires » que nous aurons alors la possibilité de construire enfin le monde de demain, solidaire et ouvert, fraternel et généreux. Une humanité consciente des liens qui nous unissent les uns aux autres dans nos différences. Et quand nous serons enfin prêts à soutenir leur regard plutôt que de détourner le nôtre, alors nous apprendrons que c’est en s’effaçant que l’on se révèle à soi-même. Jerome Coton
La “précarité” de ma mère a longtemps été ma préoccupation première. Heureusement, « il y a le pognon dingue des minima sociaux ». 559 euros par mois, la belle affaire. Au RSA depuis plusieurs années, elle navigue avec force de galères de tunes en galères de toits. Dans les médias, dans les troquets, sur les bancs de l’Assemblée, elle est précaire. C’est le mot poubelle qu’on utilise pour parler des gens qui partagent cette situation pourrie. Un mot qui dissimule bien la réalité de cette misère et la solitude sociale qui l’accompagne. Ma mère n’est pas précaire, je vous l’affirme. Elle est grande dans le cœur et dans l’âme. Elle est belle et plus courageuse que la plupart d’entre nous qui serions bien incapables de vivre avec si peu en donnant autant.
Un jour, j’ai souhaité parler de ces personnes qui représentent cette part de moi-même et de notre humanité. Ces invisibles, souvent solitaires, qui souffrent en silence en écoutant médire sur leur dos les donneurs de leçons qui ignorent ce qu’est la pauvreté. Un jour, j’ai pris mon argentique et j’ai suivi ces anges devenus grands frères. Je les ai rencontrés à Wissant, sur les plages de la mer du Nord dans le cadre d’un séjour dit de « rupture », grâce à Aleks, ami et travailleur social chez les Petits Frères des Pauvres.
C’est lors de ce premier séjour que j’ai croisé Vincent, résidant à la pension de famille « La Chine ». Passionné d’art, de littérature et de photographie, nous avons tout de suite partagé notre vision du monde. C’est lui que j’ai suivi, c’est lui qui m’a instruit. C’est lui qui se trouve à mes côtés derrière chaque cliché réalisé, le conseil toujours avisé, les idées vives, l’esprit affuté et le regard acéré. C’est lui, Vincent, que vous ne verrez pas, qui se cache derrière une myriade de pixels et qui pourtant est présent partout. Il m’a présenté les autres, d’abord photographiés de dos lors de cette toute première rencontre. De dos car les anges ne dévoilent pas leur visage au premier regard, au premier venu.
Evidemment, ils ne sont pas nés anges, ils ont parcouru des chemins sinueux, semés d’embûches, de faux-pas, d’errances et de doutes. Il aura fallu se cogner à la vie, s’y casser les phalanges, se ronger les sangs, se perdre souvent, toucher le fond, vivre sans le sou, sans le toit, avec la faim pour compagnon et le regard aveugle des passants. Pourtant, nos grands frères n’ont rien de pauvre. Leur fortune : l’expérience, la générosité, la patience et le cœur.
Au fil des années et des échanges, nous avons pu jouer avec la photographie tous ensemble et faire de cet outil un vecteur, une passerelle, capable de réduire cette distance invisible entre les êtres, capable, peut-être aussi, d’écorner ce que notre société nomme « précarité ». Parler du réel en se mettant en scène par le portrait, la posture, le lieu et l’environnement, afin de mettre en lumière l’être qui se cache dans l’ombre de nos préjugés.
Après plus d’un an de rencontres hebdomadaires, j’ai arrêté la photographie et le bénévolat pour travailler six mois dans la pension de famille et vivre au rythme des rendez-vous médicaux, des galères administratives et surtout des discussions à refaire le monde autour d’un café, clope au bec. A la fin de mon contrat, j’ai réalisé une série de portraits « à la Chambre » afin de conserver sur le film argentique les contours de leurs histoires, la profondeur de leurs regards.
Aujourd’hui, en regardant leurs visages, je me dis que c’est peut-être à l’instant où nous serons tous « précaires » que nous aurons alors la possibilité de construire enfin le monde de demain, solidaire et ouvert, fraternel et généreux. Une humanité consciente des liens qui nous unissent les uns aux autres dans nos différences. Et quand nous serons enfin prêts à soutenir leur regard plutôt que de détourner le nôtre, alors nous apprendrons que c’est en s’effaçant que l’on se révèle à soi-même. Jerome Coton
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